Lettre à Dieu
Ces tonnes de pierre laborieusement déplacées pour former la "Lettre à Dieu" n'ont pas vu le brouillard se lever durant des semaines, rendant sa lecture depuis le ciel peu probable.
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Elvire aime raconter des histoires : elle a choisi la sculpture, comme d’autres la photo, pour inventer une forme littérale, un langage qui combine mots et choses pour mieux appréhender une pensée ou un sentiment complexe. Elle fabrique des objets usuels qui, détournés de leur fonction première, sont pris au pied de la lettre mais pour un usage inhabituel. Dans le livre, Les Cales, elle a imaginé des cales pour les corps, car dit-elle : « La vie est dure ! Que faire ? Il faut s’adapter ». Les cales dimensionnées à l’échelle d’une personne, sont en mousse, c’est plus confortable ; elles comblent les vides, elles soutiennent les corps, bref elles aident à se plier aux exigences de la vie. C’est comme les meubles-obstacles qu’elle invente et qu’il est nécessaire d’enjamber : cela permet d’acquérir de la souplesse ! et de la souplesse, il en faut dans la vie si on veut être heureux !
Pour son travail de sculpture in situ au Besset, Elvire a choisi le grand champ à l’arrière des bâtiments de pierre, à cause de la ligne d’horizon qu’il offre . Le pré, d’une pente légèrement courbe avec la forêt en contrebas, ouvre sur l’immensité du ciel. On ne pouvait mieux choisir comme espace de dialogue avec Dieu, que cette étendue entre obscurité et lumière qui porte le message de la brebis égarée ! Loin du troupeau, elle s’adresse à Dieu : « Viens me voir s’il te plaît ! ». Comme le paysan courageux qui épierre son champ avec l’assurance d’une bonne récolte, la tendre bestiole a transporté des milliers de pierres pour écrire à son sauveur improbable. L’espoir et la volonté la font travailler sans relâche même si elle sait d’avance que Dieu est sans doute occupé ailleurs. Pour Elvire, comme pour la brebis, tant pis si le message se révèle vain et inefficace : l’essentiel pourrait être les efforts et l’énergie déployés à la quête du bonheur. Ici, la sensation du paysage a ravivé chez l’artiste, le besoin de contemplation et les interrogations métaphysiques : Elvire est une enfant de la ville mais les souvenirs de vacances campagnardes avec leurs plateaux touffus et leur messe du dimanche se déroulent sur toile de fond d’une éducation profondément catholique. Aujourd’hui, elle sait que le bonheur est à chercher ailleurs ; elle propose au spectateur des brebis nuages pour réfléchir, des meubles-obstacles pour s’assouplir, des cales pour s’adapter et des chiens méchants pour vous souhaiter la bienvenue ! L’air de rien, sous le propos enjoué et ironique, Elvire Bonduelle nous fait nous questionner sur cette dualité profondément humaine qui nous habite.
Dominique Thibaud, 2005